top of page

Miss Islande - Auður Ava Ólafsdóttir

Updated: Feb 14, 2021

Les solitudes croisées d'âmes décalées.

 

Résumé


Alors qu'elle a tout juste 21 ans, Hekla quitte la ferme de ses parents dans l'arrière-pays pour rejoindre la capitale, Reikjavik. Dans ses bagages, sa machine à écrire et un espoir : celui de devenir écrivain. Sauf que nous sommes en 1963 en Islande et que - spoiler alert - la chose ne sera pas aisée. Certains préfèrent voir dans sa plastique parfaite un modèle taillé pour le concours Miss Islande. D'autres aimeraient en faire une femme au foyer exemplaire. Sauf qu'Hekla porte un prénom de volcan et qu'elle ne compte pas se laisser faire. Elle bouillonne d'une énergie créatrice qui la pousse à tailler sa propre route, mais non sans être accompagnée de son meilleur ami Jon John, un marin homosexuel qui a le mal de mer et rêve d'être styliste, et son amie d'enfance, Isey, qui égaie son quotidien de femme au foyer de quelques mots griffonnés dans un journal secret.


Une galerie vibrante de personnages... où pointe un tantinet d'ennui - mon avis


Miss Islande, c'est le récit d'un destin contrarié, d'une femme qui veut devenir écrivaine, malgré les vents contraires de l'époque. Le roman s'ouvre avec en exergue un propos de Nietzsche, qui m'est particulièrement cher et qui devait mettre tous les signaux au vert :

Il faut porter en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile qui danse.

Soit l'assomption du chaos peut être la condition d'une intensité supérieure de vie, contrairement au refoulement de la réalité. Transposé dans le roman d'Auður Ava Ólafsdóttir, on aurait pu s'attendre à découvrir l'âme torturée d'une jeune femme tiraillée entre ses désirs personnels et les diktats de la société, tensions qu'une puissance créatrice transformerait non sans peine en une littérature géniale. Or, Hekla nous restera passablement opaque, la faute à une écriture directe et simple, qui en soit n'est pas problématique et peut même s'avérer charmante, mais qui s'immisce peu dans l'âme profonde des personnages.


Pourtant, des personnages, il en existe une belle galerie.


Prenons le meilleur ami, Jon John. C'est un marin épris de mode, qui préfère le plancher des vaches au roulis des vagues et les hommes aux femmes et se hait pour ça. Trascendé par la lutte de Martin Luther King pour les droits des noirs, il y voit l'écho de sa propre situation - et nous pourrions y voir aussi celle d'Hekla, femme parmi les hommes. Ces deux êtres trahis par leur époque se sont naturellement attirés, au point d'avoir été amants adolescents (par curiosité) et de finir à nouveau ensemble plus tard (par confort), l'un et l'autre trouvant dans cet arrangement à l'amical sa planche de salut (chacun peut prétendre avoir trouvé sa place naturelle dans la société, tout en entretenant son petit jardin secret sans obligation envers l'autre; l'écriture pour Hekla, l'amour des hommes pour John). Bref, Jon John est l'ami sensible et à l'écoute qui encourage Hekla à suivre sa voie.


Starkadur, souvent appelé simplement "le poète", fait partie de ces hommes qui traînent au Mokka, un café où les poètes se rassemblent pour parler littérature et échanger leurs vers. Contrairement à Hekla, lui n'a rien dû prouver à personne pour devenir écrivain, car "les hommes naissent poètes. Ils ont à peine fait leur communion qu'ils endossent le rôle qui leur est inéluctablement assigné: être des génies. Peu importe qu'ils écrivent ou non. Tandis que les femmes se contentent de devenir pubères et d'avoir des enfants, ce qui les empêche d'écrire." Pire encore, c'est un poète médiocre. En couple avec Hekla dans l'espoir d'en faire sa muse, il va rapidement découvrir, avec amertume d'abord, acceptation ensuite, qu'Hekla est bien plus talentueuse que lui.


Quant à Isey, elle est l'illustration parfaite de ces femmes qui "se contentent de devenir pubères et d'avoir des enfants", au prix de son bien-être. C'est cette amie d'enfance qui cherche à se convaincre alors même qu'elle est au bord de la dépression nerveuse que la maternité est le plus bel accomplissement de soi. Son dernier réconfort, elle le trouve dans ses petits carnets qu'elle cache et dans lesquels elle griffonne des histoires. Bavarde jusqu'au péché, Isey la mère dévouée voit son amie d'enfance Hekla porter des jeans et tailler sa route - loin d'elle.


Et c'est précisément là que Miss Islande m'a un peu déçue. J'attendais beaucoup de cette relation entre Isey et Hekla, entre ces deux opposés qui en même temps représentent les deux "choix" diamétralement opposés que pouvaient faire les femmes: entrer dans le rang ou tailler sa route. Pourquoi ne pas avoir saisi l'occasion pour vraiment empoigner une des thématiques du livre autour de la condition féminine ? Hekla nous restera à jamais un peu hermétique; on accède peu à ses propres réflexions, à ses éventuels tourments. Pourquoi écrit-elle, après tout ? Est-ce juste parce qu'elle est douée ou veut-elle échapper au sort d'Isey ? Elle est taiseuse, même avec nous, et endosse parfois presque les traits caricaturaux de l'écrivain: elle vit dans son monde, un peu renfermée, jamais tout à fait présente dans les conversations, elle qui note déjà les détails qui feront sa prochaine scène, elle qui se lève la nuit noter une belle phrase entendue plus tôt... Mais de ses tiraillements de femme, de ses angoisses créatrices, rien, ou presque, ne filtre. Isey finit par sombrer dans une dépression nerveuse ou post-partum qu'Hekla semble ne pas du tout remarquer. Isey raconte une fois comme elle prend peur à voir sa voisine, mère de quatre enfants, errer dans la maison d'en face, le vague à l'âme. Elle prend le quotidien de sa voisine comme un avertissement. Un jour, elle entend qu'elle a marché jusqu'à la mer et s'est noyée. Face à cela, Hekla ne dit rien et m'est par la force des choses devenue un peu antipathique. À aucun moment sa soif de liberté n'est mise en perspective avec ses craintes, avec la vie d'Isey, avec ses autres possibles.


À priori, il s'agit donc d'un roman sur l'accomplissement de soi, plus ou moins réussi selon les personnages, sur la création et la liberté, mais dont la conclusion donne passablement le bourdon: Hekla et Jon John finissent par se plier aux diktats de la société en se mariant, Isey cesse gentiment d'écrire et s'enferme dans son rôle de mère sacrifiée et Hekla finit par publier son roman sous pseudonyme, celui de son ex, le poète raté, dont on peut imaginer qu'il raflera la gloire. Et on ne peut en vouloir à Auður Ava Ólafsdóttir, qui rend probablement fidèlement l'époque. En bref, c'est l'histoire d'invidivus nés trop tôt, de pionniers en avance sur leur temps, en décalage.


Résultat, ce n'est pas une lecture désagréable, mais pas captivante non plus, sachant que mes attentes étaient assez élevées, vu la critique positive univoque que l'ouvrage a reçu. Cette lecture aurait été à mon sens plus enrichissante si on avait pu vivre le dilemme d'Hekla plutôt que d'y assister depuis le siège passager. Pas vilain, mais pas transcendant.

 

Le tiroir à pensées


Son destin est une mise en garde. Mais en même temps, je ne connais pas d’autre femme écrivain. C’est que les poètes sont des hommes. J’ai compris alors que je ne devais parler de mes projets à personne.


Je réfléchis. Dans le monde de mes rêves l’essentiel serait : du papier, un stylo-plume et le corps d’un homme. Quand nous avons fini de faire l’amour, je me dis qu’il pourrait aussi remplir le réservoir d’encre de mon stylo.


Les mots m'évitent dès qu'ils me voient, ils prennent la fuite comme un banc de nuages noirs poussés par un vent propice. Il en suffit d'une quinzaine pour écrire un poème et je ne les trouve pas. Je suis au fond de l'eau, oppressé par le poids de tout un océan salé et froid, mes mots n'atteignent jamais le rivage.





bottom of page